Photos mensongères

Le défi du mois d'UPro-G porte sur une photo de famille. Personnellement, je n'ai pas beaucoup de photos de famille. Elles ont disparu au fil des successions. J'ai au moins celle de mariage de mes grands-parents, une photo d'identité de mon arrière-grand-mère maternelle et une de sa mère. Point final. Oups, j'oubliais une photo des fiançailles de ma grand-tante sur laquelle figure ses parents et ses frères et sœurs.

Il y en a eu bien d'autres que je n'ai jamais vu. Ma mère m'a souvent parlé d'un portrait de ses deux tantes mortes jeunes, qui ornait le mur de la chambre de sa grand-mère. Qu'est-il devenu ? Mon grand-oncle a tout pris, tout gardé et tout perdu. Peut-être ce portrait se promène-t-il de brocante en brocante, image de deux jeunes femmes inconnues. 

J'en a acheté, de ce genre de portraits, sur internet et ailleurs. Ils me servent pour mes cours et mes articles, à défaut de pouvoir utiliser les miens. Ils sont anonymes évidemment, personne n'ayant pensé à mettre des noms au dos des photos.

J'ai bien sollicité des cousins (issus de germain) pour savoir s'ils avaient des photos mais, las, je n'ai jamais eu de réponse. Le mystère demeure : ont-ils des photos qu'ils ne veulent pas partager. N'en ont-ils aucune ? Pour ma part, je partage le peu que j'ai. Avec le numérique, c'est facile et ces photos ne sont pas MA propriété. Tous mes cousins ont les mêmes droits sur elles que moi.

Après avoir vu passer quelques tweets sur les photos animées de Myheritage : positifs, négatifs. J'ai décidé de les tester.

C'est réellement surprenant, émouvant également. Je me suis surprise à sourire à mes grands-parents. Je souriais aussi à ma mère âgée de seize ans.

J'ai bien aimé l'expérience, mais je ne montrerai pas le résultat à ma mère. Vu son grand âge, je ne voudrais pas la choquer. Elle est à un stade où le moindre petit évènement, qui sort de l'ordinaire, la perturbe pour plusieurs jours. C'est bien assez du Covid. Je ne veux pas que le fait de voir ses parents bouger et sourire la traumatise.

Parlons du Covid d'ailleurs. Pendant le premier confinement, j'en ai profité pour numériser les milliers de photos argentiques stockées dans des albums et des boîtes, un peu partout dans la maison. Le confinement n'a pas été assez long. Il m'en reste encore beaucoup.

A mesure que je numérisais les photos de ma famille, je parle des récentes (enfin, depuis 1950), j’ai réalisé le côté mensonger de ces photos.

Pour avoir participé à la plupart des évènements photographiés, je connais l’envers du décor.

Un simple exemple : année 1990, pour la fête des mères, des photos de la famille ont été prises dans le jardin. Chacun de mes frères a posé avec femme et enfants, et mes parents ont été pris en photos avec tous leurs petits-enfants, à l’époque, ils étaient huit. Vu de l’extérieur, les photos montrent une famille unie, souriante. Les grands-parents posent fièrement avec leurs petits-enfants ravis de l’occasion. Vu de l’extérieur.

Mais je connais les dessous de ces photos, les rancœurs et les jalousies qui pourrissaient littéralement la vie de la famille et minaient mes parents.

En les regardant, il m’est venu à l’idée que ces photos ne sont pas une exception. Une photo reflète un instant T posé.

C’est encore pire lorsqu’il s’agit d’une photo faite par un photographe officiel. Les tenues sont parfaites, le port de tête est dirigé par le professionnel, le sourire aussi. Mais qu’y-a-t-il réellement derrière tout cela ?

Combien de « photos de famille » reflètent la réalité ?

Les trois dates fatidiques de nos ancêtres (naissance, mariage, décès), ne nous donnent qu’une petite fraction de leur vie. Une fraction réelle.

Les photos nous en montre une autre, mais est-elle vraie ?

Déjà, les beaux militaires de la famille posent parfois en habits prêtés par le photographe, avec des accessoires qui n’ont rien à voir avec la réalité de leur service militaire. Là encore, la photo est mensongère.

Nous le savons bien, aujourd’hui, que tout est question d’interprétation. On peut faire dire ce que l’on veut à une photo. Tout dépend de son angle de prise de vue, de ses ombres et de la personne qui regarde.

La seule chose réelle, dans ces photos de famille, c’est le physique.

Il n’y avait pas Photoshop, à l’époque, pour modifier la courbe d’un nez ou effacer les sourcils trop prononcés.

Le visage est la seule chose réelle que la photo nous transmet à travers le temps. Le reste n’est que spéculation, interprétation et, pourquoi pas, fantasme de notre part.

Il est tellement plus confortable de penser que nos ancêtres étaient unis et heureux. Plus confortable et moins dérangeant.

Pourtant, la proportion d’abrutis, de connards, de salopards, de sociopathes et de méchanceté n’était pas plus faible à l’époque qu’aujourd’hui. Et ces mots sont au masculin, mais se conjuguent également au féminin.

Qui a envie de savoir que le grand-père 44 était un monstre violent avec sa famille et frappait femme et enfants à tour de bras ? Qui a envie de savoir que la grand-mère 37 martyrisait toute la famille, mari compris ? Qui a envie de savoir que le grand-père 26 était un escroc ? Un violeur ? Un assassin ? Ou, d'une manière moins violente, qui veut savoir que l'ancêtre 40 était menteur invétéré, que la 43 était mesquine et avare, que le 56 jalousait tout le monde, etc.

Le temps qui passe met une couche protectrice entre nous et les actions de nos ancêtres. Mais plus ces ancêtres se rapprochent de nous et plus cette couche s’amenuise.

Les photos nous donnent l’illusion d’une normalité et d’un monde idéal qui n’a peut-être jamais existé. Mais nous ne le saurons jamais.

Et puis, elles sont si belles, ces photos. A qui cela fait-il du mal de croire qu’elles reflètent la réalité ?

Et puis, qui sait, peut-être ne sont-elles pas toutes mensongères.

Comments

[jag]

sur un point je ne suis pas d'accord même sans photo shop les photos argentique peuvent être retouchées par exemple pour ma part 2 cas au mariage de mes parents en 1930 ma mère est enceinte de 7 mois , en scannant la photo et en l'agrandissant on voit les retouches sur le sein droit tees volumineux et révélateur de la grossesse, autre cas une photos de famille de 3 sœurs et leur frère ,vers 1950 même procédé et on s’aperçoit que les bijoux , collier et boucle d'oreille ont été rajouté subtilement et très proprement , les photographes pro étaient des artistes bien avant photoshop ou autre.

[rue fedor]

Comme c'est vrai ce que vous dites.... souvent je me fait la même réflexion que vous : que sait-on de toutes ces vies ? Qui était réellement nos ancêtres ?