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9 août 2020

9 août 1870 - La solitude du sous-lieutenant Archer

Pendant que Bitche commence son siège, l’armée française se resserre vers Metz. Le temps est effroyable, il pleut des trombes d’eau, les hommes sont épuisés par les combats et les marches forcées de la retraite. Les voitures du train de l’artillerie s’embourbent et retardent d’autant l’avancée des troupes.

Lichtenberg-1

A une vingtaine de km de Bitche, se trouve le fort de Lichtenberg. Il est situé au sommet d’un monticule. Son enceinte en suit le contour naturel et les escarpes sont taillées dans la roche sur 18 à 20 m qui ne peuvent être escaladés.

Mais c’est un petit fort dont la surface n’est que de 70 m de large sur 120 m de long et ses parapets sont très minces. Le village de Lichtenberg s’étend au pied du mamelon sur lequel est bâtie la forteresse. A peu près 1 000 habitants y vivent des travaux des champs et des coupes de bois.

Il n’y a, au fort de Lichtenberg, qu’une garnison composée d’une section du 96e de ligne (2e section de la 1ere compagnie du 4e bataillon du 96e de ligne, soit un officier, un sergent, quatre caporaux et vingt-deux soldats), un sous-officier, maréchal des logis, et cinq canonniers du 5e d’artillerie, sous les ordres du sous-lieutenant Archer, âgé de vingt-huit ans.

Il n’assure ce commandement que provisoirement, le lieutenant en titre ayant été rappelé à Strasbourg et pas encore remplacé. Leur armement se limite à quatre canons de 12 léger, à âme lisse et 3 obusiers de 16.

Lichtenberg-3

Le 6 août, les combats qui se déroulent au loin, à Froeschwiller et alentours sont perçus jusqu’au fort. Le bruit des canons, la fumée du champ de bataille, les tirs d’artillerie, les fusillades, sont entendus jusqu’à Lichtenberg. Vers trois heures, un homme du 54e monté sur un cheval trouvé sur le champ de bataille, arrive jusqu’au fort, débraillé, épuisé. Il leur apprend que l’armée française bat en retraite.

Très vite, de nombreux soldats, de toutes armes, arrivent par tous les chemins. Ils sont à bout, découragés. Certains sont trop épuisés pour grimper jusqu’au fort et sont recueillis par les habitants du village, des turcos avec des habits déchirés, couverts de boue, des zouaves sans veste, couverts de sang, des fantassins.

Le sous-lieutenant Archer fais transporter trente-deux blessés jusqu’à une infirmerie provisoire qu’il aménage dans le fort et fait chercher le médecin d’Ingwiller. Ce dernier n’arrivera jamais, son village étant tombé aux mains des prussiens.

Faute de soin, les trois blessés les plus graves mourront pendant le siège du fort. Pour s’occuper d’eux, il n’y a qu’une religieuse du village, où elle fait l’école aux petites filles et la femme du portier-consigne.

A 7 heure 30 du soir, le général Ducrot et son état-major arrivent à Lichtenberg. Il n’apporte pas de bonnes nouvelles. Toute la division a souffert, surtout le 96e, le régiment d’Archer, chargé de protéger la retraite de la division qui apprend ainsi la mort du colonel de son régiment, M. de Franchessin, mort au combat.

Le général amène avec lui de troupes appartenant en grande partie au 18e de ligne, un bataillon complet avec son drapeau, et au 99e de ligne, sous les ordres du commandant Lonjeau, du 18e et une quinzaine d’officiers des deux régiments. L’intérieur du fort est vite encombré et les troupes sont disséminées dans les fossés.

Sur ordre du général, le sous-lieutenant fait distribuer une grande partie de ses réserves alimentaires. Ils sont près de 3000 hommes à avoir faim et soif, à avoir besoin de se reposer.

Le lendemain, tôt le matin, le général Ducrot repart. Il emmène avec lui tous les militaires isolés, et laisse les blessés. Il ne laisse rien à Archer, ni ordre, ni homme. A lui de se débrouiller.

Archer se retrouve avec sa petite garnison et des blessés. Heureusement, si je puis dire, après le départ du général Ducrot, une centaine de soldats isolés arrivent à la forteresse et viennent grossir les rangs des défenseurs et celui des blessés.

Puis, le sous-lieutenant Mazoyer, du 17e arrivé au fort avec une douzaine d’hommes de sa section et quelques égarés de différents corps. Ils n’ont rien mangé depuis le 6 et se jettent sur la soupe préparée au fort. Son sergent-major arrive à son tour, avec une dizaine d’hommes et le sergent Holl. Bouxwiller, qu'ils essayaient de rejoindre, est occupé.

Un capitaine du 21e, Rosenberg, arrive déguisé en meunier. Il repartira de la même manière mais Mazoyer refuse de le suivre et d’abandonner ses hommes.

Un capitaine adjudant-major du 21e de ligne arrive à son tour, avec quelques hommes de son régiment, vers 3 heures de l’après-midi. Le sous-lieutenant Archer forme un détachement avec les soldats valides arrivés dans la journée, il les arme et les envoie vers Saverne, à travers les bois pour éviter les prussiens. Mais il demande à Mazoyer de rester au fort avec ses hommes.

Les villageois fuient, emportant leurs maigres biens avec eux. Le sergent Geissler refuse de partir pour Saverne. Il préfère rester au fort qu'il connaît bien. Il y restera même définitivement.

Le tambour sonne l’avertissement, il faut évacuer les rues. Ceux qui veulent se battre peuvent monter au fort. Il est temps de se barricader. Avant de baisser les deux pont-levis, de la nourriture est stockée (cinq têtes de bétail, un peu de pain, de sucre, de café, de riz et de sel trouvés au village).

Le 8, une partie du 4e régiment de cavalerie würtembourgeoise, faisant une reconnaissance sur le fort de Lichtenberg, est accueillie par des coups de feu. Le fort est occupé et les prussiens reçoivent l’ordre d’attaquer, nous sommes le 9 août 1870.

A 10h30, l’artillerie du fort est réduite au silence et plusieurs bâtiments sont incendiés ou détruits. Pourtant, le combat continue. Les français résistent malgré les incendies et envoient salve sur salve. De l’extérieur, les allemands s’étonnent que les français n’éteignent pas les incendies et préfèrent continuer à les pilonner. Ce qu’ils ignorent, c’est qu’il n’y a que deux pompes dans le fort et qu’elles ne fonctionnent pas. Les allemands vont bombarder le fort jusqu’à ce que le bâtiment principal s’écroule.

A ce stade, le sous-lieutenant Archer estime que la résistance est impossible. Tous les bâtiments de la place sont en feu, les blessés sont nombreux et sans soin, faute d’officier de santé et d’abris, et les parapets étant détruits, il n’y a plus aucune protection pour ses hommes.

Le lendemain, à huit heures, les français envoient le pavillon blanc. Mais avant cela, ils ont détruit les bouches feu restantes, fait disparaître les munitions et brisé leurs armes.

Trente-cinq grands blessés sont retirés du fort en flamme par les paysans et transportés à l’école du village. Les morts sont allongés sous le cerisier. Il y en a 13, dont un zouave à la tête fracassée, un artilleurs dont le bas-ventre a été arraché par un obus, et le sergent Geissler, qui avait refusé de quitté le fort et est mort, d’une balle dans la tête, et aussi le petit Keller, natif de Lichtenberg qui eu la tête traversée par une balle, alors que le drapeau blanc était déjà arboré.

Le sous-lieutenant Archer se rend au presbytère pour conclure la réédition avec le capitaine Süssdorf. La place forte sera rendue avec tout le matériel, la garnison est prisonnière de guerre et les officiers conserveront leur épée et leurs effets personnels. Le 11 cette convention est approuvée par le prince royal.

 Le 10 août, les morts sont enterrés, à 11 heures. Parmi eux, l’un des villageois a reconnu son fils unique. Les prussiens enterreront les leurs à la suite, dans le cimetière protestant : le lieutenant-colonel von Steiger et six hommes.

Les médecins sont enfin là pour soigner les blessés, mais trois d’entre succombent à des amputations trop tardives, dont le soldat Floutard, du 17e et Rolland, le prévôt de danse de la compagnie de Mazoyer. Les autres, une fois pansés, sont envoyés dans les ambulances d’Ingwiller et Haguenau.

Les prisonniers sont envoyés à la voie ferrée et arrivent à Stuttgart, le 13 août à 5 heures du soir.

Les pertes prussiennes sont de 12 tués, 28 blessés et 3 disparus.

Lichtenberg

Du côté français, le monument aux Morts érigés dans le carré catholique du cimetière de la ville, comporte 17 noms et témoigne de la diversité des régiments d’où viennent ces combattants :

  • La Courèze Jean, 99e de ligne
  • Paris Jean, 2e tirailleurs algériens
  • Remi André, 43e de ligne
  • Vogel François Antoine, 45e de ligne
  • Bousin Philippe, 2e canonnier 6e d’artillerie
  • El Abi Saraire, 2e tirailleurs algériens
  • Grand Jacques, 3e de ligne
  • Roques Jules, 9e cuirassiers,
  • Barret Auguste André, 7e de ligne
  • Bellier Louis, 2e régiment de zouaves
  • Bidard Gabriel, 17e de ligne
  • Dupont Joseph, 17e de ligne,
  • Frelin Jean Joseph, 5e d’artillerie
  • Geissler Joseph, sergent au 96e de ligne
  • Gros Jean, 2e régiment de zouaves
  • Guichard Jules, sergent-chef d’artificier 6e d’artillerie
  • Keller Louis, 18e de ligne, natif de Lichtenberg

Le sous-lieutenant Archer compte 21 morts. Aux 17 du monument aux Morts, s’ajoutent les 7 blessés morts au ambulances, de leurs blessures dont quatre sont décédés à Lichtenberg et trois à Ingwiller. Le vingt-unième est un homme dont le corps a été réclamé par la famille et inhumé dans une commune des environs.

Ont été enterrés à Ingwiller, Auguste Frey, du 96e de ligne, le 16 août, Joseph Rolland, du 17e de ligne, le 21 août et Augustin Flottard, du 17e de ligne, le 7 octobre.

Le nombre des blessés varie suivant les sources : 31, 35, 38 ou 42. Une liste a été établie par le docteur Kummer, d’ingwiller. Il a compté 34 blessés graves dont 9 provenant de Froeschwiller et 25 blessés au fort. Les blessés légers sont au nombre de 17. A cela s’ajoutent deux malades graves. Dès qu’ils sont en état de voyager, ils sont emmenés en captivité.

Le sous-lieutenant Louis Adrien Archer, est légèrement blessé dans la défense du fort. Il finira sa carrière comme capitaine au 52e

Archer sous-lieutenant 1872

régiment d’infanterie de ligne, chevalier de la légion d’honneur.

Le sous-lieutenant Mazoyer a également été blessé, à la tête par un éclat d’obus.

Alors que, suivant leur réédition, ils auraient dû être envoyé à Stuttgart en captivité, ils n’y feront qu’un bref passage, pour être envoyé dans les forteresses d’Ulm.

Le 11 septembre, une arrivée massive de prisonniers venant de Sedan rajoint Ulm.

Le sous-lieutenant Archer se voit proposer un échange pour rentrer en France, échange qui a lieu à Strasbourg, assiégée. J’ignore s’il a de nouveau été fait prisonnier ou s’il a réussi à s’échapper. Le sous-lieutenant Mazoyer aura moins de chance. Il restera à Ulm et ne sera libéré qu’après le départ de tous les officiers français internés sur place.

Ils n’ont jamais su où la garnison de Lichtenberg avait été internée.

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