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22 août 2019

22 août 1914 - et l'enfer se déchaîna

brouillard

La nuit fut courte. A 5h30 au matin du 22 août 1914, les hommes du 113e régiment d'infanterie se mettent en marche. Les ordres sont de se porter à l'attaque du front Baranzy-Genneveau, accompagné par un peloton du génie.

Le régiment se forme en ligne de colonnes doubles de bataillon et se porte à l'attaque : le 3e bataillon est à gauche, une partie du 2e, déjà engagé la veille, est à droite, une partie du 1er est à droite.

Quelques compagnies du 2e et 1er bataillon sont en réserve avec la musique, le drapeau et l'Etat major du régiment.

Le 131e Régiment d'infanterie est sur leur droite, le 4e corps est sur leur gauche.

 

Mais la météo n'est pas de leur côté. Un brouillard intense gêne la marche. La visibilité ne dépasse pas une trentaine de mètre. Les unités se heurtent immédiatement aux positions allemandes, biens préparées dans des tranchées soigneusement établies.

Pendant trois heures, le régiment tente l'assaut des premières tranchées, à deux reprises, sans succès. Les pertes sont énormes, tant du point de vue des hommes que des officiers. Le colonel est blessé, les trois chefs de bataillon sont hors service (tué, blessé ou disparu), comme les trois quarts des capitaines. Le capitaine adjoint au colonel est blessé.

Mais laissons la parole à un officier du 2e bataillon :

"... Nous sommes près du ruisseau qui coupe la route de Signeulx à Baranzy. Nous restons là assez longtemps. Le feu augmente d'intensité. Nous recevons des balles du nord et du sud, de la direction de Mussy-la-Ville et de Cussigny. Ordre est donné au 113e de battre en retraite. Nous venons nous installer dans les tranchées creusées la nuit précédente, aux abords de la maison Schreder. Nos troupiers se replient sur la route à travers le brouillard. Il pleut de la mitraille. Les canons, les mitrailleuses et les fusils allemands font rage et couvrent la position d'une grêle de projectiles. Notre artillerie reste muette. Elle ne sait vraisemblablement pas quels objectifs prendre, tandis que l'ennemi qui a repéré soigneusement la contrée nous arrose aux bons endroits... Je vois passer le colonel Gérardin, grièvement blessé. Il s'appuie sur le capitaine de la Giraudière, blessé lui aussi. Moi-même, je suis touché à mon tour. Une balle, venue de ma gauche, vient me chercher dans un trou de tirailleur, tandis que je surveille les mouvements de l'ennemi.

Le projectile est entré dans l'aine. Deux de mes soldats essaient en vain de me panser. Ça ne tient pas. Comme nous recevons l'ordre de changer de position, le sergent Lépicier prend le commandement de ma section qui passe au sud de la route... Resté seul, je cherche à me faire soigner. Des brancardiers me transportent au poste de secours de Signeulx. Là, je suis pansé par un médecin, et de l'école des garçons, on me conduit chez le douanier Chardet. Il est entre 9 h et 10 h. Le village est déjà plein de blessés.

J'entends la fusillade se rapprocher, les cris et les détonations emplir le hameau au moment où les Allemands entrent dans Signeulx.

La chambre où je suis couché ne donne pas sur la rue mais, de la pièce contiguë, les Chardet peuvent voir ce qui se passe dehors. Malgré le danger qu'il y a pour eux à se montrer à la fenêtre, ils regardent par intervalles. Leurs paroles ne me laissent rien ignorer des évènements qui se déroulent sous leurs yeux. Ils sont épouvantés. Les boches achèvent les blessés restés sur la place ou sur la route.

Nos hôtes craignent qu'on me découvre, que je sois égorgé, qu'on les fusille ensuite... On me descend dans une écurie. Au soir, un médecin auxiliaire m'en fait remonter et coucher dans un lit. Une piqûre calme un peu ma fièvre..

Le lendemain, un officier allemand se présente à moi. Il me dit "vous êtes prisonnier, vous serez bien traité si vous me donnez votre parole d'honneur de ne pas chercher à vous évader."  Je refuse "je veux suivre le sort de mon colonel". Je reste deux jours à Signeulx. Le 24 août, une charrette de paysans me conduit à Gorcy."

A 8h30, le régiment doit se replier sur Signeulx.

Le capitaine de la Giraudière adjoint au chef de corps, rassemble à Buré-la-Ville, ce qui reste du régiment. Impossible de savoir exactement quelles sont les pertes, les comptables de la 2e compagnie ayant été tués, ou faits prisonniers. Seize hommes seulement et le capitaine sont revenus du champ de bataille.

Les chiffres établis par les comptables encore en vie, font état de 12 tués, 164 blessés et 803 disparus, soit près du tiers du régiment.

L'ordre de repli est donné et, à 16 heures, ce qui reste du régiment atteint Petit-Xivry pour la nuit.

Signeux-Xivry

Le lendemain, le régiment reculera encore.

La fuite a été si rapide et désespérée que les blessés sont restés sur le champ de bataille. Les morts aussi, bien sûr, et l'attente des familles qui, pendant de longs mois, ignorerons tout du sort de leurs garçons, ne fait que commencer.

La population locale, qui souffre déjà de l'occupation et des exactions des allemands, doit récupérer les blessés, enterrer les morts, que l'armée française a laissés derrière elle. Des listes sont établies, incomplètes.

Signeulx-cimetière

Beaucoup des hommes du 113e ne seront pas retrouvés, inhumés dans des fosses communes oubliées, et il faudra attendre 1920, 1921 voire 1922, pourqu'un jugement les déclare, officiellement, Morts pour la France, plus de six ans après cette journée en enfer.

Pour les morts et les prisonniers, la guerre est finie. Pour les autres, elle ne fait que commencer, et la journée du 22 août 1914, leur donne un avant-goût amer, de ce qu'ils vont subir, pendant les jours, les mois, les années qui vont suivre.

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