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31 mars 2019

Challenge UPro-G : les trois sacrements de mort

Ils sont penché sur leur ouvrage, quand le son de la cloche fait relever la tête aux journaliers qui nettoient les vignes du haut.

Onction_malades

Qui est mort ?

Dans la matinée, ils ont aperçu le curé et l'enfant de choeur, allant d'un pas vif, vers la ferme du bout du village. Sûrement la grand-mère qui passe, la vieille Marie Léonie.

Le curé est-il arrivé à temps ? La pauvre vieille s'est déjà confessé, trois fois. Elle a reçu l'extrême onction autant de fois, tout comme l'eucharistie. Mais rien à faire, elle se relevait le lendemain. S'il n'est pas arrivé à temps ce jour-là, le bon Dieu ne lui en voudra pas. Faut dire qu'à plus de quatre vingt ans, il est temps qu'il la rappelle à lui.

Elle a enterré trois maris, dix enfants et autant de petits-enfants. ll ne lui reste plus qu'un neveu de son mari. Le brave gars l'a pris chez lui quand elle a eu soixante-dix ans, ou presque. Elle était encore utile, pour les petits, et faire la soupe aussi. Mais cela fait bien longtemps que ses doigts déformés par l'âge ne lui permettent plus rien.

La messe des morts sera dite demain au matin. Ils iront tous, l'accompagner dans sa dernière demeure. Elle sera inhumée dans l'arpent du seigneur. L'herbe a été fauchée il y a peu et les croix de bois ont été redressées, réparées, pour la fête de la Vierge. Elle devrait être mise en terre le long de l'église, là où reposent son dernier époux.

La vieille Marie Léonie a gardé sa tête jusqu'au bout. Pas comme sa fille, Louise, retombée en enfance à cinquante ans. Le curé n'a pas pu la confesser tellement elle disait de bêtises. Mais elle a eu l'extrême onction et l'eucharistie.

Le mari de Marie Léonie, par contre, est mort d'une crise d'apoplexie en pleine moisson. Il est tombé raide, dans le champ, les yeux révulsés, la bave aux lèvres. Le curé n'a rien pu faire pour lui. Mais il a été bien brave, il l'a quand même inhumé au cimetière avec la messe des morts, sans rien dire. Ce n'était pas un saint, le Louis, et il évitait la messe autant que possible. Mais quand le curé est tombé de son échelle en nettoyant les gouttières du presbytère, c'est lui qui a fini le travail à sa place, sans rien demander en retour. Cela vaut bien un enterrement à l'église.

Par contre, quand le Robert, le fils aîné, a été trouvé mort noyé dans l'étang, le curé a refusé de l'enterrer. Il fallait une enquête et le lieutenant criminel s'est déplacé de la ville pour cela. Le Robert, il avait vidé tellement de bouteilles à la taverne, que c'est miracle qu'il soit allé jusqu'à l'étang. Tout le monde l'a vu tituber sur le chemin menant à sa maison. Personne ne s'est inquiété, ce n'était pas la première fois. Depuis la mort de sa femme et de ses enfants lors des dernières fièvres, il ne rentrait chez lui que saoul comme un cochon. Il a fini par tomber dans l'eau et se noyer.

Le lieutenant criminel a conclu son enquête et enjoint au curé de l'enterrer au cimetière, ce qui fut fait dans l'heure.

La mort est là, qui rode, avec les fièvres l'été, la mauvaise toux l'hiver, les couches qui se terminent mal pour la mère et l'enfant, la charrette qui verse, la foudre qui s'abat, la faim des mauvaises années, et la guerre, que le roi mène un peu trop souvent.

Aujourd'hui, c'est la vieille Marie Léonie. Demain, ce sera peut-être la petite Marguerite, de la ferme des Noues. Il paraît qu'elle n'a pas quitté le lit de la semaine. La grande faucheuse ne choisit pas : le bon et le mauvais, l'enfant et le vieux, le riche et le pauvre, leur tour viendra bien.

Ce qu'il importe, c'est que les trois sacrements soient donnés : l'eucharistie, l'extrême onction et la confession. Comme ça, les portes du paradis seront grandes ouvertes pour les accueillir.

Le curé de la paroisse est un brave homme. Il ne laisse personne être enterré comme un chien. Même le vieux mendiant étranger, trouvé mort dans la grange du père Sylvain, après les grands froids, a eu droit à la messe des morts. Il avait une petite croix sur lui, deux bouts de sarment tressés. Cela lui a suffit pour dire qu'il était bon chrétien et pouvait avoir droit au cimetière.

Ce n'est pas comme le curé de la paroisse d'à côté. Celui-là, personne ne l'a regretté quand il est parti. Quand la Marie Souris, l'an passé, a eu ses douleurs de l'enfantement, elle était dans les bois à ramasser des herbes. Elle n'a pas pu rentrer chez elle et son bébé est né mort, sans sage-femme pour l'ondoyer. Le curé a refusé de l'enterrer au cimetière. Pas baptisé, pas de place pour lui. La Marie Souris était inconsolable. Alors le Jacques, son mari, il a pris le bébé, et l'a emmené en carriole, à la chapelle de Notre Dame de Pitié, à dix lieux de là.

Le curé de Notre Dame de Pitié a accepté qu'il l'emmène dans l'église, sous la statue de la vierge. Et là, il y a eu rémission. Tous les témoins l'ont dit : le bébé, il a respiré. Oh, pas longtemps. Mais assez pour que le curé de Notre Dame de Pitié le baptise. Après, il l'a ramené, avec le certificat, et le curé de sa paroisse a été obligé de dire une messe et de l'enterrer dans le cimetière. Depuis, il a été emporté par les fièvres de l'été, et son remplaçant est bien plus charitable.

Tout le monde n'a pas les trois sacrements des morts. Il y en a qui sont si malade qu'ils ne peuvent avaler l'eucharistie, et d'autres qui n'ont plus de conscience, et ne peuvent se confesser. L'extrême onction, c'est le sacrement le plus délivré aux mourants. Voire même aux déjà morts depuis peu. Qui sait combien de temps l'âme reste près du corps, avant que le bon Dieu décide qu'elle a droit au paradis.

Alors, c'est pitié d'imaginer tous ces braves gars que la milice a enrôlé de force pour les guerres, mourant sur le champ de bataille, sans avoir droit même à l'extrême onction. Le curé dit qu'ils se battent pour le roi de France, alors ils ont droit direct au paradis. Quand même, ça fait pitié.

Les vignes sont nettoyées et les journaliers rentrent chez eux. La nouvelle leur parvient enfin. C'est bien la Marie Léonie qui est partie, mais elle devra partager la messe des morts. La petite Marguerite, de la ferme des Noues, est passée aussi. Le curé n'a pu que l'ondoyer, mais à six ans, quel pêché aurait-elle pu confesser ?

Demain matin, avant d'aller aux champs, les villageois iront à l'église puis au cimetière. Ils y mettront en terre, l'hiver et le printemps, le vieux et l'enfant, le passé et l'avenir. Et puis après, ils iront travailler. Car la mort n'a rien d'exceptionnel.

 

 

 

 

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