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19 janvier 2019

Conseil municipal, avec ou sans filtre : Areines en Loir-et-Cher

marianne-CONSEIL-MUNICIPAL

 

Les réunions de conseils municipaux sont ouvertes au public et les débats sont souvent animés, parfois houleux même. L'opposition marque son désaccord avec la majorité en place, la majorité en place vilipende ses prédécesseurs forcément responsables de leurs tracas actuels et le public hue, applaudit, siffle. C'est du moins ce qui ressort des comptes rendus qui paraissent dans la presse et des extraits qui fuitent dans les réseaux sociaux, de nos jours.

Nos ancêtres étaient-ils plus sages ?

J'en doute. Lorsque la presse se fait les échos de séances du conseil et des assemblées des Républiques qui ont précédé celle d'aujourd'hui, il est évident que les petites phrases, gros mots et insultes diverses et variées, ponctuaient les discours des hommes politiques.

Pourtant, la lecture des délibérations de conseils municipaux donne une image plate et sans saveur, sans réelle "humanité" de ce qu'ont été ces conseils. Lecture de l'ordre du jour, vote et décision. Lecture de l'ordre du jour, vote et décision. Lecture de l'ordre du jour, vote et décision.

J'ai eu envie, aujourd'hui, de faire de la fiction et de mettre des mots et de l'animation dans ces délibérations. Vous excuserez cette liberté que je prends avec ces archives, mais il m'est impossible d'imaginer que les sujets traités aient pu l'être sans plus de réaction que celle d'un état végétatif prononcé.

Ce qui suit est donc de la fiction pure, excepté pour les mots en couleurs qui eux, sont bien tirés des délibérations.

Nous sommes le 14 décembre 1916, à Areines, dans le Loir-et-Cher. Alphonse Riverain, quarante-sept ans, maire depuis seize ans, également le plus gros propriétaire terrien de la commune, ouvre la séance du conseil municipal.

Il fait l'appel des dix conseillers municipaux, lui compris : "sont présents Alphonse Riverain, Auguste Porcher, Jacques Foncet, Henri Busson, Louis Blondeau, et François Sédilleau. Sont absents Alexandre Hubert,  et Ernest Magnan, mobilisés et Ernest Norguet et Alexandre Teissier, décédés.

Le vieux père Blondeau rumine dans sa barbe "z'étaient morts la dernière fois, sont toujours morts l'Ernest et l'Alexandre !!! Zont pas ressuscités !!!". "C'est la règle" lui rappelle le maire, "il faut faire l'appel de tous les conseillers". "Ben l'est stupide c'te règle" continue à ruminer le père Blondeau.

Le maire soupire en levant les yeux aux ciels. La séance va être compliquée, et ce n'est pas la lecture de la lettre du préfet qui va arranger les choses.

Henri Busson, cinquante-quatre ans, est nommé secrétaire pour ce conseil. A lui la tâche de retranscrire la réunion sans les égarements, mots doux et hors sujets qui vont ponctuer la séance.

Alphonse Riverain ouvre la séance et rappelle que le conseil municipal le 20 août dernier, a fixé à vingt francs, le taux d'allocation d'assistance aux vieillards, pour la période quinquennale 1917-1921. Vingt francs mensuels, bien sur, moins les revenus éventuels des personnes assistées.

Il donne ensuite lecture de la lettre du préfet, en date du 5 décembre, dans laquelle il expose que, dans l'intérêt des finances publiques, le préfet souhaite que le taux d'allocation soit porté à quinze francs.

Le maire a à peine reposé la lettre du préfet sur la table, qu'un concert de protestations explose littéralement dans la pièce.

Le père Blondeau n'a pas le temps de prendre la parole, car il est devancé par Jacques Foncet, soixante-douze ans "Non mais il vit où le préfet ? Quinze francs par mois !!! Avec la cherté de la vie qui ne cesse d'augmenter !!!".

François Sédilleau, cinquante-neuf ans, renchérit : "il sait combien ça coûte de faire ses courses, le préfet ? Doit pas avoir de problèmes avec son traitement"

Henri Busson fait les comptes "avec le kg de sucre à 1.35 francs, la livre de beurre à 2.30 francs, la douzaine d'oeufs à 3 francs, les cinq kg de pain blanc à 2.20 francs, 7.50 francs les dix litres de vin rouge et on dépasse déjà les quinze francs".

Le père Blondeau s'exclame alors "Si le préfet croit que la mère Chevet va pouvoir vivre avec... attend, je fais les comptes, elle touche que quatorze francs, vu qu'elle a six francs de revenus, donc elle toucherait plus que neuf francs !!! Et la petite Léonie  Richard qu'a jamais pu travailler, vu son état d'incurable !!! elle toucherait plus que treize francs !! Vont crever de faim les pauvres !!!"

Alphonse Riverain attend que le brouhaha se calme. Il les connait bien, tous ces conseillers. Ils sont tous plus âgés que lui et l'ont connu en culotte courte. Pourtant, c'est lui le maire et son statut de propriétaire terrien y est pour beaucoup, mais pas uniquement. Il connait déjà leur réponse à la lettre du préfet. Il ne reste plus qu'à l'écrire d'une manière moins fleurie.

"Considérant que les titulaires des allocations sont dans l'incapacité de se livrer à un travail rémunérateur, que la cherté des vivres va en augmentant, estime qu'on ne peut diminuer le taux mensuel fixé à vingt francs et maintient la délibération du 20 août 1916."

Voilà, c'est réglé, jusqu'au prochain courrier du préfet.

Les hommes signent chacun leur tour le compte rendu officiel, avant de retourner à leurs activités.  Ils seront tranquilles jusqu'à la prochaine séance, en février.

Le maire les regarde partir, par petits groupes. Certains vont se retrouver chez le cafetier, Louis Habert, pour échanger sur les dernières nouvelles du front. Les autres rentrent chez eux, au chaud, au coin du feu, pour les plus vieux, reprendre leur ouvrage pour les autres. Même en hiver, à la campagne, il y a toujours quelque chose à faire.

 

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